N'envoyons pas nos filles à l'école!

Publié le 8 Novembre 2023

Choquant, n'est-ce pas? Absolument. Dans un pays où les filles peinent déjà énormément à trouver leur place et où leur taux de scolarité est particulièrement bas, il est évidemment choquant d'entendre de tels propos. Mais au Tchad, plus rien n'étonne. Tout ce qui peut paraître étrange, insensé ou inconcevable sous d'autres cieux y est vu comme exploit ou acte de bravoure. Les valeurs qui jadis faisaient la fierté du pays, à savoir le sens de l'honneur, le respect, la dignité, se sont toutes effondrées. Les déviations de tout ordre sont devenues la norme. Le vol, la médiocrité, la dépravation des mœurs, le libertinage sont observés à tous les niveaux de la société. Souvent, ce sont ceux là mêmes qui devraient être tenus par le devoir d'exemplarité qui s'y adonnent, sans le moindre scrupule voire dans l'impunité totale.

Ainsi, à force de jouer avec l'interdit et de se croire intouchables, certains ont poussé le bouchon trop loin au point de se retrouver dans une situation particulièrement honteuse et abjecte. Ces dernières semaines, des personnes assumant les plus hautes responsabilités, notamment le secrétaire général de la présidence de la république et le ministre de la défense, ont fait la une des réseaux sociaux. Des vidéos les montrant en plein ébat sexuel sur leur lieu de travail, avec des jeunes femmes dont l'une serait mineure étaient diffusées sur Internet, suscitant railleries et moqueries tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Pour quelles raisons et comment de telles scènes avaient-elles pu être orchestrées? Mais surtout à quelles fins étaient-elles destinées?

Ne pouvant tenir face à une telle déflagration, ces personnes ont dû démissionner de leur poste non sans chercher à employer les méthodes qu'ils connaissent le mieux, à savoir intimider ou réduire au silence. Ainsi il semblerait que l'un aurait proposer une somme de 15 millions de Fcfa à sa partenaire pour acheter son silence. Tandis que l'autre n'y est pas allé de mains mortes en faisant enfermer deux jeunes filles qu'il soupçonnait d'être à l'origine de ces publications. 

Pauvre Tchad ! On savait que le sexe faisait l'objet d'une banalisation sans commune mesure ces dernières années et dans d'autres pays d'Afrique aussi, d'ailleurs. On savait également qu'il pouvait servir de moyen de pression pour soumettre voire réduire les adversaires au silence à l'image de ce qu'il s'est passé récemment avec un des conseillers de la transition. Ce jeune conseiller s'était insurgé contre l'assassinat d'un soldat tchadien par un militaire français dans une des bases militaires du pays, précisément au BET (au nord du pays) en participant à une manifestation et en appelant au départ des dites forces. Il a été arrêté, puis après sa libération, à la stupéfaction générale, a radicalement changé de position en faisant des déclarations contraires à ses prises de position initiale. D'où ces allégations qu'il aurait été violé par les agents de l'ANS (agence nationale de sécurité) pour le contraindre à prêter allégeance à Mahamat Kaka Deby. En somme le règne de la terreur! Au point que certains en viennent même a regretté l’époque de Deby père comme l’ont fait certaines personnes par rapport à Hissène Habré. Un règne qui estime ne rien à voir avec le peuple pas plus qu'il n’a de compte à lui rendre.

Avec cette affaire de vidéos sur les réseaux sociaux, un pas supplémentaire dans le phénomène de désintégration des valeurs sociétales vient d'être franchi. En effet, il de notoriété publique qu'obtenir les faveurs sexuelles d'une femme en échange d'un service (emploi, réussite aux concours ou aux examens, obtention de diplôme, examens, etc...) est une pratique répandue dans ce pays. Oui, cela existe bel et bien. Une situation qui passe pour être normal. Et aussi longtemps que tout ceci se passe dans la discrétion, tout le monde s'en accommode. En réalité, rares sont celles qui, jeunes filles ou femmes mariées, échappent à ce genre de propositions farfelues. Beaucoup d'entre elles finissent souvent par y succomber, surtout lorsqu'elles n'ont pas de soutien.

Seulement cette fois, le monde entier, y compris certainement les parents, enfants, épouses, collègues, connaissances et que sais je encore, découvrent avec stupeur des images d'un des leurs dans des situations inconfortables. Une pratique que jamais certaines n'auraient imaginé l'existence, même dans leurs rêves les plus profonds. Une honte, une aberration totale dans un pays encore largement régi par des principes traditionnels et religieux. Et qu'est-ce qu'il se passe? Silence total du côté de ces faux religieux qui cassent du sucre sur le dos des pauvres à longueur de journée et à leur dire même comment ils doivent respirer. Cependant, la réaction, saisie au vol, de cette personne mérite d'être examinée avec attention : "Il faut être fou pour envoyer vos filles à l'école. Ils nous demandent d'envoyer nos filles à l'école et voilà ce qu'ils en font".

Le plus étrange et le plus dégradant encore, c'est le fait que l'installation de l'oncle de cette autre femme soit nommé à la place de l'un des démissionnaires. A-t-on utilisé le corps de cette jeune femme pour salir une personne afin de lui ravir sa place ou de le faire évincer? A moins que là aussi, cela ne soit une manière d'acheter le silence de la famille ou plutôt de réprimander, voire d'humilier davantage l'intéressé. Dans les deux cas, cela traduit ce processus de déshumanisation qui à l'œuvre dans ce pays et ne devrait être toléré sous aucun prétexte. D'abord au regard du respect de la dignité des personnes concernées mais aussi par rapport à l'image de la jeune fille et des femmes, en général. Logiquement, et surtout dans un pays de droit, seule la justice devrait être saisie et non le contraire afin d'éviter que de tels actes ne se reproduisent. Mais que dis-je? La justice ? Le Tchad est un Etat de droit sans justice ! Etrange, non.

Pour revenir à la réaction de cette personne pour qui les parents ne devraient plus envoyer leurs filles à l'école, que pouvait-on lui répondre? De prime à bord, la scolarisation des filles n'a pas toujours rencontré une adhésion totale dans un large pan de la société tchadienne. Pour de multiples raisons certes mais l'école occidentale a toujours été perçue comme un lieu de dépravation des mœurs. Un lieu qui détournerait ou éloignerait la jeune fille de la place qui lui est assignée, à savoir, le foyer. Il n'est pas vain de rappeler que le taux de scolarisation pour l'achèvement du primaire dans quinze des vingt trois provinces que comptent le pays ((rapport du bureau de la coordination des affaires humanitaire, mis à jour le 12 mars 2021). Dans de tel contexte, l'exemplarité, tant du côté des responsables politiques que des enseignants et autres acteurs de la société se doit d'être de mise pour éviter de voir anéantir les efforts consentis dans ce domaine. 

Ce sentiment de trahison là, rien ne saura l'effacer. Ni la démission des concernés, ni la réduction au silence ou l'intimidation ne pourra enrayer les répercussions de ces actes sur les femmes en général et sur les jeunes filles en particulier. Que pourrait dire le gouvernement à un parent qui déciderait d'appliquer cette logique? Pourquoi ni le président de la transition qui semble t-il aurait "fait de l'éducation des filles, de la dignité des filles, du respect de leurs droits mais aussi de leurs devoirs une priorité" ni la ministre en charge des droits de la femme sont-ils restés silencieux sur cette situation susceptible de remettre en cause fondamentalement l'un des éléments essentiels de leur politique et notamment la scolarisation des jeunes filles ? Et les associations de défense des droits de femmes qu'en pensent-elles ? Qu'attendent-elles pour agir afin que que les filles ou les femmes ne soient utilisées comme de simples objets de plaisir ou des moyens d'assurer la promotion sociale des mâles de la famille?

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