Tierno Monénembo : "la solution militaire pour sauver la démocratie africaine""
Publié le 13 Septembre 2023
Dans une interview publiée sur RFI le 29 août 2023, le romancier guinéen Tierno Monénembo, auteur de plusieurs livres dont le Roi du Kahel que j'ai personnellement apprécié, estime que "tout doit être fait pour décourager les coups d'Etat en Afrique."
Un résumé de certains points de cet entretien réalisé à la suite de la publication de sa tribune sur la situation du Niger dans Le Point s'impose pour permettre de comprendre le fonds de sa pensée. Eh oui, il y a des coups d'Etat qu'on plie rapidement pour mettre sous les oreillers et tourner la page. Et puis, il y a ceux qui empêchent de dormir tranquille au point de provoquer continuellement des remous dans les journaux et les débats politiques en France, justifiant ainsi, à tort ou à raison, les thèses selon lesquelles ce pays ne peut exister sans l'Afrique ou le Niger.
Tierno Monénembo fait partie de ces intellectuels et journalistes, de surcroit d'origine africaine, qui au lieu de contribuer à éclairer le débat, affichent des positions plutôt dévalorisantes et complètement aux antipodes des aspirations de la jeunesse nigérienne en particulier et africaine en général. Pour lui, ce "coup d'Etat est une espèce de provocation et qu'il y a une espèce de conspiration anti-démocratique qui est en train de se manifester sur l'ensemble de la région. Et qu'il faut y mettre fin maintenant pour éviter que toute la région ne se trouve sous la coupe des régimes kakis".
Il affirme que la CEDEAO "est en droit et en devoir d'agir contre la junte au Niger" et, poursuit-il "si la discussion, les négociations et les rencontres diplomatiques n'aboutissent pas à un retour rapide à l'ordre constitutionnel et à un retour au pouvoir du président Bazoum alors la solution armée reste la seule possible."
A la question de la journaliste, n'est-ce pas un pari très risqué? Il répond qu'"il faut prendre des risques pour sauver la démocratie africaine, pour conjurer toutes les menaces que font peser les coups d'Etat militaires sur l'avenir de l'Afrique. Et qu'il faut prendre ce risque maintenant." Car poursuit-il : "le pouvoir militaire est synonyme de corruption et de répression."
S'agissant des manifestations populaires, il dit ne pas trop y croire parce qu'ayant lui même vécu sous la dictature de Sékou Touré, il savait ce qu'était la manipulation politique et qu'il fallait s'en méfier. Rappelons ici que le règne de Sékou Touré a pris fin en 1984, c'est à dire il y a trente ans. Ce détail est intéressant à relever. Car, à la fin, lorsque la journaliste lui demande ce qu'il y a lieu de faire pour sortir de l'impasse dans les relations franco-africaines, il répond en rapportant une de ses conversations avec un diplomate : "vous n'avez jamais tenu la parole qu'il faut aux générations d'Africains d'aujourd'hui. La France parle à l'Africain comme si c'était encore l'Africain du 19è siècle, l'Afrique des vieux paysans, des villages, superstitieux, fatalistes." Il ajoute en ces termes : "....notre jeunesse est connectée avec le monde moderne. Elle connaît ses droits, elle est prête à les revendiquer et elle est prête à se battre pour les gagner."
Alors comment des gens qui connaissent leurs droits et qui sont prêts à tout pour les revendiquer pourraient-il se laisser manipuler? Ou pire, se faire payer pour aller manifester comme je l'ai entendu ça et là sur certains média? A-t-il lui même été payé pour tenir ces propos? Finalement connait-il suffisamment les nouveaux enjeux de ce continent comme le penseraient ceux qui l'ont sollicité sur ce sujet? Probablement pas assez car dire que ces personnes qui manifestent ont été soudoyées pour le faire revient à nier la souffrance et la douleur de ces jeunes bafoués et affamés et cela ne pourra qu'aggraver les choses. Des jeunes qui, pour fuir cette misère, se noient par milliers dans la Méditerranée ou périssent dans le désert chaque année sans que cela n'émeuve ceux là mêmes qui sont censés les protéger et que vous voulez à tout prix maintenir au pouvoir. Quelqu'un vous piétinent, vous lui dites que vous avez mal et vous voulez retirer votre pied. Et là, non seulement il feint de ne pas vous entendre mais il ne vous reconnait même pas le droit de vous plaindre ou de manifester votre colère. N'est-ce pas là l'un des principes de base d'un Etat de droit ou de la démocratie que vous semblez défendre corps et âme?
Revenons donc sur ces points qui sont une insulte inacceptable. Il "faut sauver la démocratie africaine" et faire appel à la force s'il le faut. Car, "les coups d'Etats militaires constituent une menace pour l'avenir de l'Afrique mais surtout que les pouvoirs militaires sont synonyme de corruption et de répression." Si la démocratie devrait se limiter uniquement au principe de vote, je dirais d'emblée qu'il n y a jamais eu de démocratie en Afrique. Car, ni l'organisation de ces votes encore moins la prise en compte des résultats n'ont obéit à la moindre démarche démocratique, libre et transparente.
Avant d'aller plus loin, les régimes des Bongo au Gabon et des Biya au Cameroun ne sont pas des régimes militaires et pourtant ces personnes et leur entourage respectif se sont livrés, et s'y livrent encore, à un pillage systématique des ressources de leur pays. Comme pour conjurer ce mensonge, quelques heures seulement après cette interview, le Gabon tombe à son tour. Inutile de vous dire de quelle manière mais que n'a-t-on pas découvert sur les réseaux sociaux sur les possessions colossales de cette classe dirigeante cupide, insensible et peu scrupuleux. Ces ressources volées sont quand même investies ou placées partout dans le monde et notamment en France sans, là aussi, que ça ne dérange les classes dirigeantes d'ici qui les côtoient. Quand vous marchez avec un sorcier ou un voleur sans être inquiété c'est que vous êtes vous même sorcier ou voleur, non?
Au lieu de soutenir ou de fermer les yeux sur ces pratiques, n'aurait-il pas fallu plutôt intervenir pour que des hôpitaux et des universités de renom soient construits dans ces pays si vous vous souciez tant de l'avenir de l'Afrique? Au Tchad, mon pays d'origine, il y a même eu un centre hospitalier dédié à la santé de "la Mère et de l'enfant" qui fût un temps renommé "hôpital de la mère ou de l'enfant" par les usagers. Et vous savez pourquoi? Simplement parce que soit les femmes qui y accouchaient laissaient leurs vies, soit les bébés mourraient à la naissance. A quoi a servi l'argent du pétrole? D'aucun comme Hubert Védrine dirait qu'ils sont souverains et qu'ils n'avaient qu'à se prendre en main. Mais non, ils ne sont pas souverains. Ils ne le sont pas parce que ces chefs d'Etat sont nommés ou désignés par vous et non par leur peuple et qu'ils n'en ont strictement rien à faire de leur situation. Seul compte le fauteuil, le pouvoir et bien sûr l'intérêt des maîtres qui ne se cachent même plus pour décrier la perte de leur influence. En vous positionnant ainsi, vous faites encore plus de mal à ces peuples là. En particulier dans ce cas précis où ce peuple clame haut et fort que les militaires sont une bouffée d'oxygène pour lui contre la dictature de Bazoum et de son prédécesseur et qu'il ne veut plus de ce dernier. Mais on veut néanmoins le lui imposer par la force. C'est ça la réalité.
Vouloir livrer une guerre à un peuple au nom de la démocratie ou au nom du retour à l'ordre constitutionnel n'est juste pas concevable. Surtout si de surcroît les instigateurs de cette guerre ne sont pas totalement en phase avec les valeurs pour lesquelles ils entendent se battre. Qui de Emmanuel Macron ou des chefs d'Etat de la CEDEAO peut-il dire qu'il est réellement démocrates? Parce qu'il ne suffit pas seulement d'être élu. La manière et les conditions dans lesquelles se déroulent une élection et comment celui ou celle qui est élu (e) met en pratique sa gouvernance sont autant d'éléments qui déterminent un régime réellement démocratique. Et, à niveau là, on ne peut pas dire que tout est clean en France, encore moins dans les pays de la CEDEAO.
Pour ne considérer que le premier aspect de la question, si Emmanuel Macron a été plus ou moins correctement élu, avec un taux d'abstention de plus de 28% tout de même, il n'en est pas de même pour ses compères de la CEDEAO. Il en est de même pour la quasi totalité des élections en Afrique depuis l'avènement de la démocratie. Mais tout cela, avec la bénédiction de la sacro- sainte communauté internationale. Quand dans une compétition, l'un des candidats prend le soin de choisir ses adversaires en éliminant ceux qui ont plus de talents que lui et que finalement il l'emporte, peut-on dire qu'il a vraiment gagné? Qu'en est-il pour ceux qui se donnent le loisir de changer les règles du jeu comme ça les arrangent en modifiant les Constitutions tous les quatre matins pour renouveler leur mandat continuellement? Ca aussi ce sont des coups d'Etat comme le reconnait le prédécesseur de celui pour lequel vous êtes en train de vouloir vous battre. Ce monsieur, Mohammed Issoufou donc, a déclaré que pour lui, briguer un troisième mandat signifiait un coup d'Etat. Or, nombreux parmi ceux qui sont impliqués dans cette intervention au Niger sont des champions dans cette pratique à commencer par Allassane Ouattara pour ne citer que celui-là. Quelle légitimité donc pour entreprendre une telle action contre le peuple Nigérien.
Quand bien même légitimité il y a, encore une fois rien ne justifie cela. Cet extrait d'un texte écrit par Arno Klarsfeld au sujet de la guerre en Ukraine et lu par l'intéressé sur les antennes de Radio J montre combien ces personnes se trompent complètement d'objectif : "la guerre, oui mais seulement quand aucune solution raisonnable ne peut être trouvée et qu'il en va de la survie d'un peuple ou qu'il existe un risque que la tyrannie s'installe sur le continent." Et il demande à l'Europe mais particulièrement à la France et à l'Allemagne de tout faire "pour trouver un compromis aussi juste et raisonnable pour arrêter cette guerre porteuse de morts pour ceux qui la font et de misère pour les populations européennes et mondiales qui subissent et en subiront de plus en plus les conséquences." Dans cette configuration, est-il encore besoin d'en rajouter? Sommes-nous gouvernés par des êtres sensés et sensibles à la misère humaine? En quoi, les militaires au pouvoir menacent-ils la survie d'un peuple quel qu'il soit? En quoi représentent-ils un risque de tyrannie ? Une solution raisonnable ne peut-elle pas être trouvée? S'il y a bien un pays où règnent le désordre et la tyrannie et où la survie d'un peuple est quotidiennement menacée c'est le Tchad et pourtant les responsables ne sont en aucun cas inquiétés.
Sachez mesdames et messieurs, vous qui appelez constamment et sans la moindre compassion à déclarer la guerre au Niger, au Mali, au Burkina Faso ou je ne sais où, sachez que vous aurez du sang sur les mains et des morts sur la conscience et qui plus est, si vous êtes africains, cela vous poursuivra des générations durant. Il est encore temps de se retenir et de faire triompher la raison et le bon sens. Il n y a pas de honte à reculer face une situation susceptible d'occasionner des pertes en vies humaines. La démocratie et l'Etat de droit oui mais pas à n'importe quel prix et sous aucun prétexte. Ces concepts peuvent être restaurés en tout temps et en tout lieu, il suffit simplement de le vouloir et de laisser les gens choisir par eux-mêmes. Et ce, peu importe que le pays soit dirigé par un militaire ou un civil. Par contre ceux qui seront tués ne reviendront jamais. Et ça, vous n'avez pas le droit de le faire.