C'est une affaire africaine. Il faut qu'il règle ça entre eux.
Publié le 25 Août 2023
"C'est une affaire africaine, il faut qu'il règle ça entre eux." Ces paroles ont été prononcées par le général Patrick DUTARTRE le 4 août, lors d'une interview accordée à LCI à propos du coup d'Etat survenu au Niger le 26 juillet 2023. Le Niger, disait-il encore, est un pays pauvre qui n'a que l'uranium comme ressource et dont 40% du PIB dépend de l'aide internationale" et qu'il était "triste pour ses amis les Nigériens".
S'agissant de la pauvreté du pays, il n'a pas du tout tort puisque les données de la Banque mondiale le confirment. On parle même d'un niveau de pauvreté extrême touchant plus de la moitié de la population. A cela s'ajoutent les flux de réfugiés venant des pays voisins (Nigéria, Mali, Burkina Faso). Pour ce qui est des ressources, point besoin de s'étaler sur le fait que l'uranium bien qu'appartenant au Niger, ces ressources n'ont jamais valablement servi à améliorer le bien-être des populations. Il en est de même pour le pétrole, puis que le Niger en exporte également. Pour la période 2011 - 2020, le secteur pétrolier a drainé plus 818 milliards de Fcfa dans les caisses de l'Etat selon la Direction des hydrocarbures du ministère du pétrole (Les échos du Niger, janvier 2022). Mais où est donc passé cet argent? Par ailleurs, même sans ressources minières, un Président ayant réellement le soucis de sortir son peuple de la pauvreté, saurait trouver les moyens pour le faire. Et enfin, qu'il soit triste, c'est tout à fait normal. Aucun n'être humain ne saurait rester insensible face à la souffrance de ses semblables.
Mais y avait-il seulement une affaire africaine? Il n'y a pas eu de problème d'agression entre le Niger et un autre Etat, à ce que je sache. Il s'agit ici d'un Président mal élu, comme c'est souvent le cas dans de nombreux pays, qui bâillonnait son peuple et le livrait à la merci des terroristes et qui a été subtilement écarté par son armée. Un coup d'Etat mené par l'armée nationale donc, sans intervention étrangère et sans effusion de sang, contre un Président qu'elle juge probablement pas à la hauteur des enjeux nationaux. Nous sommes ici face à un problème interne, un problème nigéro-nigérien. Alors pourquoi cette gesticulation malsaine et honteuse consistant à vouloir à tout prix entraîner un pays déjà en difficulté dans une guerre dont on ignore l'issue? Ce fût la même chose lors de l'assassinat de Deby au Tchad où le même Emmanuel Macron s'est empressé de se rendre à Ndjamena pour soutenir le fils Mahamat Deby Kaka. Et, tel un grand frère défendant son cadet dans une cours de récréation, déclarait ceci : "la France ne laissera personne remettre en cause l'intégrité et la stabilité du Tchad." L'intégrité et la stabilité du Tchad ou les intérêts de la françafrique ?
Il se dit même que la charte de transition qui était prête 48h seulement après le décès de Deby aurait été rédigée bien avant sa mort. Tout cela mis bout à bout ne vous donne-t-il pas l'impression d'un coup d'Etat masqué en assassinat? Et si l'on y ajoute le tripatouillage des textes constitutionnels, alors ne sommes-nous pas là en face d'un coup d'Etat constitutionnel. Voilà qui nous ramène au temps où des mercenaires comme Bob Denard ou Jacques Foccart sévissaient partout en Afrique et se débarrassaient sans sourciller des chefs d'Etat acquis à la cause de leur peuple pour en imposer ceux qui étaient prêts à faire les quatre volontés de leurs maîtres. Que de meurtres commis ? Que de braves gens éliminés sans gêne? Je ne peux m'empêcher de citer l'un d'eux, le docteur Outel BONO assassiné le 26 août 1973, en plein Paris sans que justice ne soit rendu à sa famille. Oui, en ces temps-là, les coups d'Etat étaient normaux et louables, les assassinats des récalcitrants aussi !
Aujourd'hui, ils sont interdits, sauf pour une certaine catégorie de personnes. Ces personnes là peuvent modifier les Constitutions pour se présenter éternellement aux élections présidentielles. Au besoin, des scribes et des constitutionnalistes leur sont envoyés pour le faire comme ce fût le cas avec le Président tchadien Idriss Deby, mort dans des conditions obscures. Un fait qu'il a publiquement reconnu sur les ondes de RFI (Radio France Internationale). Et, ce fût encore le cas avec le fils imposé au peuple Tchadien après l'assassinat du père. Selon un des grands constitutionnalistes tchadien, monsieur Sitack Yombatinan, c'est l'ancien ambassadeur de France au Tchad, Bernard Cochery qui aurait organisé la transition de bout en bout. Il aurait même joué un rôle prépondérant dans la rédaction de la charte de cette transition. Et, ce n'est pas tout. La préparation des élections ou du moins du référendum sur la forme de l'Etat qui est en cours actuellement se déroule dans des conditions les plus douteuses et les plus exécrables. Dans de tel contexte, si un coup d'Etat se produisait dans ce pays, serait-il condamné ?
Et maintenant, qu'est-ce qui justifie ces propos du général DUTARTRE? Tout le monde se souvient des déclarations d'Emmanuel Macron à la suite de ce coup d'Etat, du moins pour ceux qui suivent les actualités françafricaines. Dès l'annonce du coup d'Etat, un conseil de défense sur le Niger fût organisé puis s'en sont suivis des discours aussi martiaux les uns que les autres. En quoi le coup d'Etat au Niger pouvait-il représenter une menace pour la sécurité nationale de la France? Le général avait-il senti le coup venir et voulait-il ainsi mettre en garde contre une intervention militaire au Niger? De fait, les déclarations qui se sont succédées et qui fusent encore aujourd'hui ont laissé clairement apparaître une volonté manifeste du chef de l'Etat français de sauver à tout prix le dauphin et de restaurer son trône. Et ce, en dépit de toute considération de la volonté du peuple nigérien au motif que ce dernier a été élu démocratiquement. Si la démocratie signifie donner quitus à un homme pour malmener et réduire les autres au silence, alors non. Aucun pays, aucun peuple sur cette terre ne l'acceptera.
Voici comment Halima, une jeune nigérienne décrit la situation au Niger :
"Le coup d'Etat du Niger c'est un coup d'Etat révolutionnaire. Donc on a pas renversé un pouvoir démocratique mais plutôt un pouvoir qui était dictatorial et qui nous a été imposé par Mahamadou Issoufou, Bazoum et la France"... Bazoum, c'est le Président déchu, ancien ministre de l'intérieur sous la présidence de Mahamadou Issoufou et également ami de ce dernier. Il a été choisi par celui-ci comme candidat aux élections présidentielles de 2020-2021 pour le remplacer à la tête du Niger. Et la France alors, que vient-elle chercher là dedans? Eh bien la France, parce qu'aucun candidat ne peut gagner les élections présidentielles ni diriger un pays Africain appartenant à son soit disant "pré-carré" sans son aval.
Elle poursuit ainsi : "...Ca fait 12 ans que le Niger vit la dictature sous toutes ses formes. Il n y a pas de justice. L'école est en chute libre. La corruption et le pillage en masse sont légion comme jamais auparavant. Même le budget du ministère de la défense a été dilapidé, pillé par les tenants du pouvoir. Conséquences? Les militaires se sont faits massacrer comme des mouches parce qu'on les avaient envoyés en guerre sans arme. L'administration publique est devenue une dynastie. Jamais, jamais le Niger n'a connu une telle catastrophe. L'insécurité est grandissante. Comment parler de démocratie dans un tel contexte?" (Réveil Panafricain, août 2023)
Voilà, tout y est. Ce qui a pris au Tchad ne prendra pas forcément ailleurs. Installer au pouvoir des minorités dont le seul soucis est de s'enrichir au détriment des peuples tout en se cachant sous le parasol des officines secrètes françaises. Voilà la démocratie DCI (dénominateur commun international) pour citer le ministre malien des affaires étrangères. Que le peuple crève de faim, qu'il soit piétiné, humilié à longueur de journée et massacré dans les moindres recoins des villages comme c'est le cas actuellement au Tchad. Que les enfants n'aient pas accès à une éducation digne de ce nom, qu'ils n'aient pas d'alimentation saine, cela n'a aucune importance.
Les manifestations populaires qui se déroulent sous nos yeux depuis l'avènement de ce coup d'Etat nous démontrent à suffisance combien le peuple en a marre de ces dirigeants "rapaces". Toujours, selon cette jeune dame ce coup d'Etat était un salut, "tout le peuple nigérien attendait ce moment là. Ces militaires, c'est un miracle et nous les acclamons tous parce que ce sont les seuls qui peuvent maintenant nous aider à aller vers la souveraineté"
Aussi, Monsieur Emmanuel Macron revoyez votre copie. Laisser les Africains prétendre à cette liberté que nous chérissons tous. Ne déguisez pas votre intervention en un soutien caché aux terroristes pour rendre le Niger voire le Mali et le Burkina Faso ingouvernables, juste parce qu'ils ont échappé à votre contrôle. Vous êtes encore jeune. Cette jeunesse a nourri l'espoir d'un changement auprès de la majorité des jeunes Africains. Malheureusement cet espoir a été déçu parce que vous avez choisi de servir la françafrique, ce "syndicat de malfrats" comme le dirait Nathalie Yamb. Vous avez raté une occasion de rentrer dans l'histoire en faisant de cette jeunesse une alliée de la France dans un monde plein d'incertitudes. Aussi, vous n'avez rien d'autre à faire que de prendre votre mal en patience et d'attendre que ces pays règlent leurs problèmes internes et ensuite renégocient ou pas de nouveaux contrats de partenariats justes et équitables. Des contrats dignes et respectueux de la personne humaine.
N'aviez-vous pas déclaré ceci en novembre 2017 devant un parterre d'étudiants burkinabé à Ouagadougou et je vous cite : "quelque part, vous me parler comme si j'étais toujours une puissance colonisatrice, mais moi, je ne veux pas m'occuper de l'électricité du Burkina Faso." Maintenant qu'ils l'ont compris, ils ne veulent plus que vous vous occupiez de leur électricité, de leur gaz, de leur riz etc..., laissez-les tranquille.