"L'Afrique, quand on ne s'en occupe pas, on se fait engueuler et quand on s'en occupe, on s'engueule aussi."
Publié le 18 Novembre 2020
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Intervenant : Chers (es) amis (es), comme vous pouvez le constater avec la carte ci-dessus, le thème de notre conversation d'aujourd'hui est l'Afrique.
Cette conversation que nous allons aborder sous le prisme de la déclaration de Nicolas Sarkozy, ancien président de la France, est la première d'une série qui s'étalera dans le temps.
Je vous laisse la découvrir et me dire ce que vous en pensez.
Etudiant 1 : Dans quel cadre et pourquoi une telle déclaration?
Intervenant : C'est une déclaration qui a été faite lors de l'université d'été du MEDEF en septembre 2019 où monsieur Sarkozy a été invité à s'exprimer sur le "problème de surpopulation mondiale". A cette occasion, il a affirmé que "le plus grand choc mondial c'est le choc démographique." Dans le même ordre d'idée il a ajouté qu'en "Afrique subsaharienne, la moyenne d'enfant par femme était de l'ordre de cinq enfants et que si on agissait pas rapidement, on allait au devant d'une catastrophe écologique extravagante."
Madame Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal et actuellement présidente du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) a tenu à nuancer ces propos. Et c'est en réponse à cela que cette déclaration a été faite. Une déclaration contrastée d'autant plus que l'intéressé lui même a introduit son discours en fustigeant les dirigeants européens qui ne regarderaient pas l'Afrique comme il se devrait.
Etudiant 1 : Si je comprends bien, monsieur Sarkozy pense que l'Afrique subsaharienne est la seule responsable de la surpopulation mondiale?
Intervenant : Faudra la lui poser directement, cette question.
Etudiant 2 : Comment l'auditoire a t-il réagit à cela?
Intervenant : Je ne me suis pas penché sur cet aspect mais comme vous, je serais curieux de le savoir. Est-ce que l'un d'entre vous peut visionner la vidéo sur Youtube et nous en dire plus à la prochaine séance? En attendant, dites-moi ce que vous pensez de cette déclaration.
Etudiant 1 : Je pense que ça vient compléter la longue liste des litanies négatives sur l'Afrique.
Etudiante 2 : Je trouve que c'est méprisant de parler de la sorte.
Etudiante 3 : Je dirais que c'est insultant. C'est comme si l'Afrique ne peut arriver à rien toute seule.
Intervenant : Maintenant, posons la question autrement. Que feriez-vous si vous vous occupiez de quelqu'un ou d'un problème pendant des années et que rien ne change ou très peu de choses changent ?
Etudiante 2 : Basique! Je chercherais à comprendre pourquoi est-ce ainsi et je changerais ma manière de faire. Mais au fait, de quelle Afrique parle-t-on? Je ne doute pas que c'est bien de l'Afrique subsaharienne qu'il s'agit mais même là, il y a de nombreuses disparités.
Intervenant : Absolument. L'Afrique, elle est une et multiple à la fois. Elle est une parce que c'est un continent à part entière à l'instar des quatre autres. Mais l'Afrique est aussi multiple parce qu'elle est segmentée géographiquement, avec une diversité culturelle et linguistique inégalée. A cela s'ajoute un héritage colonial qui sous-tend l'organisation économique, politique et social des Etats qui la composent.
Etudiante 2 : Et donc?
Intervenante : Naturellement, dans cette conversation nous nous focaliserons sur l'Afrique francophone. Etes-vous d'accord avec moi?
Etudiant 1 : C'est logique. C'est là que la France exerce son influence et en général, quand un chef d'Etat français parle de l'Afrique, ça fait forcémment penser à l'Afrique francophone.
Intervenant : Il ne peut en être autrement. En sa qualité d'ancienne puissance colonisatrice, la France entretient un lien privilégié avec tous ces anciennes colonies ou pays dits francophones qui ont comme socle commun l'utilisation du Français comme langue nationale. Ils sont regroupés au sein de l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). L'Afrique francophone, pour ainsi dire, couvre plus de 8 millions de kilomètres carrés et totalise plus de 300 millions d'habitants.
Etudiante 3 : Quelles sont les principales caractéristiques de ces Etats?
Intervenant : Ce n'est pas très élogieux. Politiquement, nombreux sont ceux qui brillent par la longévité de leurs dirigeants au pouvoir. Ils sont également sujets à des instabilités diverses et variées tant sur le plan économique et social et cumulent toutes les difficultés du monde. Si nous considérons par exemple l'IDH (indice de développement humain) qui est l'instrument élaboré par le PNUD pour mesurer les inégalités entre les pays, ils sont, pour la plupart, au bas de l'échelle. Seules deux petites Iles (Seychelles et Maurice) figurent parmi les 60 premiers sur les 189 pays. Même ceux qui ne sont pas moins lotis en matière de ressources minières ne s'en sortent guère. Le Niger figure à la 189è place, avec son uranium. La RCA est 188è avec ses mines de diamant. Le Tchad, pourtant producteur de pétrole ne fait guère mieux.
Etudiante 3 : Concrètement?
Intervenant : Concrètement, ça veut dire que la majorité des populations de ces pays vivent en dessous du seuil de pauvreté, que les systèmes de santé sont défaillants, que l'éducation est à la traîne à l'heure où on parle de plus en plus de l'économie de la connaissance. En somme, ça veut dire que les jeunes Africains sont condamnés à ramasser les miettes, à périr en mer à la recherche d'un hypothétique "meilleur avenir". Et tout ceci dans l'indifférence totale de ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de les protéger.
Prenons le cas du Tchad. Le pays produit du pétrole depuis près de deux décennies et pourtant, selon l'AFD (Agence Française de Développement, "la pauvreté touche près de la moitié de la population et 38,4% des habitants vivent avec moins de 1,9$ par jour." Et je rajouterai que toujours dans ce pays, et cette fois-ci selon la Banque mondiale, l'espérance de vie est de 52,9 (en Occident, c'est l'âge à laquelle un homme ou une femme commence vraiment à se réaliser voire à se rendre utile à la société après s'être dévoué (e) à ses responsabilités familiales ou après avoir engrangé des années d'expériences). Pire, en RDC, elle est de 48,7. Pour ce qui est du taux d'alphabétisation, il est de 32,9% pour le Bénin, 33,4% pour le Mali et 37,3 pour le Tchad.
Etudiante 1 : Ca alors! Bien que ces pays disposent de ressources et malgré le fait qu'on "s'occupe"d'eux comme des "gosses", ils n'arrivent pas à s'en sortir?
Etudiante 3 : Bah non. Autrement dit, on ne se serait pas là en train d'en débattre!
Etudiante 2 : J'aimerais que l'on me dise comment et surtout depuis quand on s'en "occupe" parce que là, je n'y comprends rien.
Intervenant : Comment on s'en "occupe"? Ca c'est une grande question qui ne saurait être traitée aujourd'hui. Par contre pour ce qui est de la seconde partie de la question, il suffit de remonter dans les années 60, à l'aube des indépendances.
Etudiante 2 : Vous voulez dire qu'on s'en "occupe" depuis tout ce temps et que ça n'a pas suffi pour la faire avancer?
Intervenant : Malheureusement non puis que jusqu'aujourd'hui on continue toujours et encore de le faire. D'où ma question : que feriez-vous, si vous étiez à la place de ceux qui l'aident?
Etudiante 1 : Pas glorieux du tout. Quand on sert de "tuteur" à quelqu'un et qu'il ne se relève pas ou n'arrive pas à se tenir droit pendant tant d'années, c'est qu'il y a un problème. Soit on a mal rempli notre rôle, soit la personne ne prend pas suffisamment appui sur la perche qui lui est tendue ou alors que ses besoins ont été mal appréciés. Dans tous les cas, une remise en question s'impose.
Etudiante 3 : Ca c'est toi qui le dit. Apparamment cette tâche est la plus compliquée à réaliser. Non seulement on ne cherche pas à changer les choses mais ce sont toujours les vieilles recettes qui sont reprises et saupoudrées de quelques broutilles pour être ressorties à chaque fois et présentées comme des innovations.
Et monsieur Sarkozy, pour le citer encore ne déroge pas à la règle. Pour avoir visionné la vidéo pendant la pause du midi, j'ai constaté qu'il a proposé à l'Union Européenne et l'Afrique de "se réunir en urgence pour décider d'un plan d'infrastructure monumental pour essayer d'augmenter le niveau de vie de l'Afrique, parce qu'il semble qu'il y ait une corrélation entre le niveau de développement et l'explosion démographique".
Etudiante 1 : En urgence? Décidémment monsieur Sarkozy ne sait qu'agir en urgence. De toutes les façons, on a vu ce que ça a donné en Libye! D'ailleurs, je me demande bien si c'est la personne la mieux placée pour parler de l'Afrique après tout ce qu'il s'est passé?
Intervenant : Vous avez raison de le relver mais il ne nous appartient pas de répondre à cette question. Laissons aux spécialistes de l'Afrique et autres historiens la latitude d'en juger.
Par contre ce qu'il convient de dire c'est que par le passé, de tels projets ont été lancés et ils n'ont pas obtenus les résultats escomptés dans la majorité des cas. Vous avez certainement entendu parler des "éléphants blancs". C'est le nom donné à ces projets faramineux et coûteux qui étaient censés permettre à l'Afrique de se développer et qui l'ont finalement enfoncée.
Etudiante 1 : Mais, j'ai l'impression que le mot "grands projets" a été remplacé par "monumental". Tout cela est d'une gravité "monumentale" et ne saurait être passé sous silence!
Etudiante 3 : Comment peut-on agir de la sorte sans que personne ne semble y prêter la moindre attention?
Etudiante 2 : Finalement, on comprend mieux pourquoi l'Afrique fait du surplace dans tous les domaines.
Intervenant : Ca sera le mot de la fin et je terminerai par cette phrase de Paul Watzlawick analyste des relations sociales pour qui "si l'on fait ce qu'on a toujours fait, on obtient ce qu'on a toujours obtenu." En d'autres termes, si nous pensons toujours aux mêmes solutions pour résoudre des problèmes, qui ne sont souvent pas les mêmes ou qui sont multidimentsionnels, nous ne pouvons qu'obtenir les mêmes résultats. C'est à dire que nous n'obtenons rien ou pas grand chose. C'est le cas de le dire ici pour l'Afrique, mais plus généralement encore, pour l'humanité toute entière et ce, dans tous les aspects de la vie.